Isaac Asimov, Géographie Economique et Econométrie

Published 2023-03-30


Isaac Asimov (1920-1992) était un écrivain de science-fiction, très connu notamment pour sa série de livres Le Cycle de Fondation. J'ai lu pour la première fois Asimov cet hiver, en commençant par le roman Fondation, le premier livre paru de la série. Au fil de la lecture, on découvre que l'auteur était fasciné par une gamme de sujets très large, comme l’histoire, la politique, la physique, la psychologie, la sociologie et l’économie, dont il intègre les concepts pour conter son récit. Dû à ma formation en économie, et particulièrement à mes domaines de recherche qui sont la géographie économique et l'économétrie, je n'ai pas pu m'empêcher de faire le lien entre son roman et la littérature académique.

Le roman se déroule dans un futur lointain, où l'humanité a colonisé la galaxie et établi un vaste empire interstellaire. Dans un contexte de déclin et de chute de l'empire galactique, nous suivons un petit groupe de scientifiques qui s'efforce de préserver les connaissances et la culture humaines face à cet effondrement. La clé de leur succès réside dans leur capacité à utiliser la psychohistoire pour prédire l'avenir et à guider leurs actions en conséquence.

La psychohistoire est présentée comme une discipline scientifique qui utilise les statistiques et probabilités pour prédire le comportement de grands groupes de personnes au fil du temps en fonction des événements qui se réalisent et de lois aggrégées de l'action de masse. N'est-ce pas le principe de l'économétrie ? Tout comme les psychohistoriens, les économètres utilisent diverses méthodes statistiques pour analyser des données, comme l’analyse de régression et l’analyse de séries temporelles. L'objectif de la psychohistoire et l'économétrie est le même : modéliser les relations économiques pour ainsi comprendre des phénomènes sociaux complexes et faire des prédictions sur les résultats futurs.

En revanche, une différence fondamentale existe entre les deux sciences. Elle réside dans la précision des prédictions. Alors que la psychohistoire a une compréhension exacte du comportement humain et des forces sociales et économiques qui le façonnent, la qualité et la disponibilité des données qui permettraient de développer des modèles si précis fait défaut en réalité. Cependant, l'accès et la qualité des données s'améliore considérablement au fil des années (et des jours) grâce aux avancements technologiques et aux méthodes de plus en plus sophistiquées de collecte de données. Ces améliorations ont révolutionné les usages de l'économétrie. Il paraît donc raisonnable de s'attendre à ce que la filière continue d'évoluer et peut-être précéder la psychohistoire.

Mon attention à également été retenue par la manière dont Asimov intègre la géographie économique dans le fonctionnement de l'empire. Plus précisément, il présente un empire qui répond aux lois du modèle de gravité pour expliquer le mouvement des biens et des personnes en son sein. Basé sur le modèle de Newton, le modèle de gravité est résumé en une équation mathématique simple mais puissante qui décrit la manière dont la taille de deux entités géographiques et la distance qui les sépare influencent le flux commercial, la migration et d'autres formes d'intéraction entre eux (dont les collaborations inter-régionales entre inventeurs : voir G. Gambuli & F. Stipanicic (2023) - oui, je pratique l'auto-citation).

Isaac Asimov présente aussi les différentes dynamiques qui divisent le centre économique de la périphérie, qui fait référence au modèle fondamental de Centre-Périphérie de Paul Krugman (1991), prix Nobel d'Economie en 2008 et fondateur de la Nouvelle Economie Géographique. Au début, un empire hyper-connecté et hyper-centralisé nous est présenté. Le pouvoir et la gestion administrative de l'empire sont concentrés en un seul et même centre, la planète Trantor, se rapportant à un oecuménopole, concept théorique de la littérature en urbanisme. Ce centre hyper-spécialisé, sans ressource naturelle ni industrie, se retrouve complètement dépendant des autres planètes et du commerce qu'il entretient avec elles. Ce manque d'autonomie et le mépris qu'elle démontre pour la périphérie sont à l'origine de son effondrement.

Jusqu'alors, Trantor et les autres planètes de l'empire galactique ont su tirer bénéfice des apprentissages de David Ricardo (1817) et sa théorie des avantages comparatifs, ainsi que ceux d'Alfred Marshall (1890) sur le principe d'économies d'agglomération de l'activité économique provenant des externalités qui en découlent, comme les knowledge spillovers. Quand le premier explique que chaque pays gagnerait à se spécialiser dans l'activité de production dans laquelle il est le plus productif et participer au commerce international, le deuxième explique en quoi il peut être bénéfique que le système de production d'un même secteur d'activité se localise géographiquement.

A ces théories, s'ajoutent les coûts de transports auxquels doivent faire face les entreprises, celles-ci réalisent un arbitrage entre proximité aux ressources de production et proximité à la demande. C'est l'objet d'étude de la théorie de la localisation. Puisque l'empire galactique est hyper-connecté, les coûts de transport tombent presque à zéro. C'est la death of distance de Frances Cairncross (2002). L'avancée technologique en termes de transports et communication est telle que la distance ne représente plus une barrière à l'échange et au déplacement. L'organisation spatiale de l'activité économique de l'empire galactique semble s'être stabilisée à un équilibre où chaque secteur d'activité se retrouve aggloméré sur des planètes particulières et chaque planète s'est spécialisée à l'extrême.

Cependant, cet équilibre est fragile. Arrive donc un moment où l'empire s'effondre. Les connexions entre les planètes centrales et les planètes à la périphérie de la galaxie se rompent. C'est alors que de nouveaux centres spatialement (c'est le cas de le dire) dispersés émergent. Les connexions se rétablissent peu à peu localement, qui permettent aux centres économiques d'intéragir avec les planètes aux alentours, par le commerce notamment. Des enjeux politiques se créent, des jeux de pouvoir s'installent, les centres économiques interviennent dans la périphérie pour tirer des bénéfices de leur exploitation, puis des intéractions et différends politiques se créent entre les centres.

Ces modèles de gravité et de centre-périphérie jouent un rôle clé dans la formation de la dynamique économique et sociale de l'empire galactique d'Asimov. Au fur et à mesure que les différentes planètes et régions croissent ou déclinent en termes de population, de ressources et de puissance économique, le flux de biens et de personnes entre elles change en conséquence. Les psychohistoriens de la Fondation utilisent ces connaissances pour prédire où les troubles sociaux et économiques sont susceptibles d'émerger et pour intervenir de manière à atténuer les pires effets de ces perturbations - gérer les crises politiques, conserver les savoirs de l'humanité, aider au développement.

Le roman décrit également l'âge d'or de différentes professions : psychohistoriens, encyclopédistes, maires, marchands et princes marchands. Les deux premiers s'apparantent aux économistes scientifiques, aux chercheurs et professeurs, dont le rôle est essentiel et qui pourtant n'est pas nécessairement valorisé auprès des décideurs politiques et personnes au pouvoir. Le troisième s'apparente aux décideurs locaux qui influencent les politiques et portent la parole et la volonté du peuple (ou pas). Puis l'âge des marchands, qui présente le commerce interplanétaire au centre des intéractions, et celui des princes marchands (pas charmants) qui représentent les multinationales et oligarques imposant leurs pouvoirs par leurs fortunes et industries.

En somme, Asimov s'est inspiré d'un large éventail de disciplines et d'idées pour créer un univers fictif riche et complexe, qui offre un aperçu unique des champs d'économie, parmis lesquels on trouve la géographie économique, le commerce international et l'économétrie.

Chers collègues et étudiants en Economie, j'espère vous avoir donné envie de le lire.

A Lucas, qui m'a ouvert les portes de ce monde interstellaire.


Pour illustrer ce post, j'ai demandé à Dall-E de créer des images d'un réseau d’étoiles et de planètes, reliées par des routes commerciales. J'expose sa gallerie ci-dessous.